Montagne Magazine – Mai 2018
Pour rendre hommage à un moment phare de son histoire et alors que se tenaient les 23e Jeux olympiques d’hiver en Corée du Sud, Grenoble et ses habitants célébraient, tout le mois de février dernier, le cinquantenaire des 10e Jeux d’hiver, que la ville accueillait du 6 au 18 février 1968. L’occasion de se demander à nouveau si l’accueil de futures olympiades à Grenoble et dans ses massifs environnants serait opportun, à l’heure des évolutions du climat et des réflexions, divisées, sur l’avenir de la montagne et ses pratiques.
Les célébrations n’auront sûrement échappé à aucun Grenoblois. Durant tout le mois de février dernier, la capitale des Alpes s’est parée des couleurs de l’olympisme pour faire honneur à son rang de capitale, acquis il y a tout juste cinquante ans.
Le 6 février 1968, le Général de Gaulle annonce ouverts les Xème Jeux Olympiques d’hiver. Quelques minutes plus tôt, dans une belle mise en scène, le patineur artistique Alain Calmat monte les 96 marches jusqu’à la vasque olympique, les battements de son cœur résonant dans le gigantesque stade (à l’emplacement de la Villeneuve actuelle) et des hélicoptères déversant des pétales de rose au-dessus des 60 000 spectateurs. Démarrent alors quinze jours de l’histoire de Grenoble que la ville sera loin d’oublier, sur le plan sportif, économique, politique et culturel. Du côté du développement urbain, l’hôtel de Ville, la Préfecture, l’hôtel de police, la Poste, la gare, la Maison de la Culture ou encore le Musée Dauphinois sortent de terre la veille des Jeux. Pour résumer cette histoire en chiffres : entre 1964 et 1968, la Ville réalise en quatre ans ce que d’autres ville auraient mis 20 ou 30 ans à réaliser : notamment 194 kilomètres de routes pour relier le centre avec les stations de ski, pour un coût total de 1,1 milliard de francs à l’époque, soutenu à 80% par l’Etat. L’accueil de ces Jeux permet de ce fait la sortie de l’ombre et le désenclavement des massifs de Belledonne et du Vercors ; le plateau accueillera toutes les épreuves de ski nordique, le saut à ski ou encore la luge. Ces épreuves en feront sa renommée et devenir Autrans la capitale française du ski de fond.
Cinquante ans plus tard jour pour jour, la Ville de Grenoble, ainsi que le Département de l’Isère, des musées de l’agglomération et les établissements scolaires, ont saisi l’occasion de célébrer ce temps olympique, grandeur nature. Des expositions photos, des évènements culturels, une course aux flambeaux, des visites scolaires de stations de ski ont prétexté la mémoire olympique pour « créer un moment de communion populaire entre Grenoblois ayant connu les Jeux, et les générations qui se succèdent depuis cette date, qui ne savent pas forcément que ces Jeux ont littéralement changé Grenoble » explique le conseiller municipal délégué au Tourisme et à la Montagne Pierre Mériaux. Car dans le contexte des Trente Glorieuses, ces jeux apparaissent comme novateurs sur de nombreux plans : « Jusqu’en 1964 et les Jeux d’Innsbruck, les JO d’hiver étaient réservés à des stations de ski. Que Grenoble, bourgade de province, certes ville compagnon de la libération mais à la structure urbaine très modeste soit choisie en 1964 pour 1968 était un sacré pari » détaille Alain Arvin Bérod, historien philosophe du sport et auteur de l’ouvrage Les neiges de Grenoble. Une bourgade néanmoins située au cœur des montagnes alpines : « C’était un territoire idéal pour l’organisation des Jeux, explique Olivier Cogne, directeur du Musée Dauphinois. Certes la montagne n’était pas aménagée, le Chamrousse d’hier n’avait rien à avoir avec la station que l’on connaît aujourd’hui, mais ce sont des connaisseurs de la montagne qui ont su voir la chance pour Grenoble. » Autrement dit, deux hommes, souvent oubliés de l’histoire, qui comprennent l’essor des sports d’hiver : Georges Cumin, ingénieur de Ponts et Chaussés et Laurent Chappis, architecte de la station de Courchevel tous deux en charge du développement de la station de Chamrousse à l’époque. C’est d’ailleurs sur un coup de tête que Laurent Chappis, lance cette phrase, voyant le potentiel de la station : « Et si on organisait les Jeux Olympiques à Grenoble ? » Il est pris au mot, appuyé par le maire Albert Michallon. S’enclenche alors un processus qui fera rentrer la petite histoire de Grenoble, dans la grande histoire de l’olympisme.
2008 : la candidature qui divise
Alors qu’au même moment des célébrations de Grenoble se déroulaient les épreuves des 23ème JO d’hiver en Corée du Sud, la municipalité grenobloise actuelle, interpellée, s’est justifiée à plusieurs reprises de ne pas être dans l’esprit de raviver la flamme olympique pour une future candidature aux Jeux Olympiques d’hiver. L’élu Pierre Mériaux a martelé ce message auprès des Grenoblois : « Ces célébrations ne sont en aucun cas un appel du pied pour envisager de nouveaux Jeux à Grenoble. Il n’y a pas de contradiction entre célébrer l’héritage des Jeux de Grenoble et refuser de rentrer dans la mécanisme des Jeux actuelle et celle du CIO, qui ne se donne aucune limite dans les frais à dépenser » poursuit l’écologiste assumé, qui n’hésite pas à faire allusion à la candidature avortée de Grenoble en 2008 : « Ce qu’on commençait à dire en 2008 on peut le proclamer avec une force non démentie : la réalité du changement climatique nous rattrape. Accueillir les Jeux Olympiques d’hiver à Grenoble aujourd’hui me paraît impossible. Donc si la question est : peut-on refaire les jeux de 68 à Grenoble ? La réponse est non. »
Retour en arrière. Le 7 mars 2009, Pierre Mériaux et beaucoup d’autres randonneurs grenoblois et des environs déposent une bannière au pied du tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte. Le slogan ? « La montagne, on l’aime sans JO ». Plusieurs mois auparavant, le maire grenoblois Michel Destot, soutenu par le Département de l’Isère, affiche sa volonté de porter la candidature de Grenoble pour les Jeux d’hiver de 2018, portant « ce désir de candidature olympique pour [sa] ville, depuis longtemps ». Le 6 octobre 2008, l’ensemble des élus municipaux valide à la quasi-unanimité la candidature de Grenoble, à l’exception de six élus du Groupe Ecologie et Solidarité.
Le lieu choisi par les opposants est hautement symbolique : au tremplin de Saint-Nizier-du-Moucherotte se déroule la dernière épreuve de saut à ski, à la mi-février 68, qui accueille plus de 70 000 personnes et le Général de Gaulle en personne. Il deviendra pourtant l’un des quelques « éléphants blancs » de ces Jeux. En effet, dix ans après les épreuves de saut à ski, la construction de l’alpiniste et architecte Pierre Dalloz, devient une « friche sportive[1] » ou « installation obsolète » ; petit à petit l’entretien du tremplin est délaissé par la Ville de Grenoble, la commune de Saint-Nizier-du-Moucherotte devenant alors propriétaire de l’installation. Aujourd’hui, le maire actuel, Franck Girard, ne le considère pas comme un fardeau pour sa commune même s’il « n’a pas les moyens de réhabiliter un site de douze hectares », mais il espère bien « trouver un projet avec un partenariat public privé pour transformer l’espace, peut-être en musée de l’olympisme ».
Alors que la municipalité voient, en 2008, cette nouvelle tentative de candidater aux Jeux comme l’opportunité de « mobiliser la population autour des belle valeurs de l’olympisme, valoriser les atouts de l’Isère et développer son rayonnement international….[2] », les opposants brandissent haut et fort une longue liste de critiques : le coût « indécent » à prévoir, pointant du doigts le remboursement des Jeux de 68 jusqu’en 1995, des aménagements « démesurés » (tunnel sous la Bastille pour élargir la Rocade Nord, élargissement de l’A48), un environnement « saccagé » (en référence aux éléphants blancs de 68 tels que le tremplin de Saint-Nizier-du-Moucherotte, piste de bobsleigh à l’Alpe d’Huez, l’anneau de vitesse) ou encore un refus de l’« idéal olympique » véhiculé par les décideurs olympiques.
Quarante ans ont passé depuis les Jeux de 68 ; si à cette date l’engouement politique existait bel et bien, en 2008 il est loin d’être aussi présent. Des personnalités telles que Jacques Hennebert prennent position ; alors membre du conseil municipal d’Hubert Dubedout en 1965, engagé dans le Comité d’organisation des JO en 1968, celui qui deviendra vice-président de l’ADTC (Association pour le développement des transports en commun) déchante quatre décennies plus tard et devient un réel pourfendeur de la candidature de Grenoble aux JO de 2018 : « Très rapidement après les Jeux de 68 à Grenoble, les Jeux Olympiques en général se sont transformés en entreprise commerciale ; alors que c’est tout le contraire qu’on aurait du réussir à faire. La publicité nous assomme et la compétition entre les Jeux ont pris le pas sur le rassemblement. J’aimerais qu’on retrouve le côté désintéressé du sport car c’est ça qui en fait sa valeur ».
Grenoble se retrouvera alors dans la course des villes des Alpes Françaises à candidater : Annecy, Nice et Pelvoux. Elle ne passera pas la sélection nationale face à Annecy qui elle-même perdra, à la sélection internationale, de 85 voix face à la Corée du Sud, qui a tenu ses jeux le mois dernier.
Si pour certains une candidature grenobloise était et reste inconcevable, beaucoup d’autres y croyaient (et y croient encore). Le grenoblois David Smétanine, quadruple médaillé en natation aux Jeux Paralympiques de Pékin, avait intégré la commission des athlètes pour la candidature grenobloise, devenant l’un des moteurs de cette candidature. Pour lui, l’échec de Grenoble est du à un lobbying politique fort qui a donné l’avantage à Annecy : « Je suis persuadé que Grenoble avait un dossier de candidature vraiment costaux. Les stations sont proches du centre ville, on proposait un transport câblé dans un respect de l’environnement, on réutilisait les infrastructures de l’époque (anneau de vitesse) et surtout, on repensait le développement du plateau de Vercors et de la moyenne montagne ».
L’avenir des montagnes incompatibles avec les Jeux d’hiver ?
A l’occasion des célébrations du cinquantenaire des JO de Grenoble, le débat semble s’être élargi à la question de la place des JO dans l’évolution de la montagne et ses pratiques, à l’heure du constat criant du réchauffement climatique. C’est d’ailleurs par ce prisme que l’association de protection de l’environnement Mountain Wilderness rejette en bloc la tenue de Jeux dans les Alpes françaises, dans la voix de son codirecteur Vincent Neirink : «Le contexte a changé ! En 68 les Jeux ont sans aucun doute été un accélérateur du développement du territoire et des stations de ski. La France était dans le contexte des Trente glorieuses, des débuts du tourisme d’hiver en station. Mais aujourd’hui les usages de la montagne ont changé, les exigences du Comité International Olympique se sont renforcées : il faut urgemment sortir de ce mythe olympique qui fait croire que les Jeux développent nos montagnes… » Même son de cloche du côté de la CIPRA ; la Commission Internationale pour la Commission des Alpes. En 2008, suite à la candidature d’Annecy pour les JO d’hiver de 2018, au même titre que Grenoble, l’organisation sort un communiqué largement diffusé demandant « Des Alpes sans Jeux Olympiques » : « Les exigences des JO d’hiver en matière d’infrastructures, de transports, d’installations sportives, et de structures d’hébergement sont aujourd’hui si démesurées qu’il n’est plus possible d’y satisfaire dans les Alpes ». Pour Christophe Boulogne, le Vice-président, empêcher de nouveaux Jeux dans les Alpes est un de ses chevaux de bataille : « Quand on parle des JO, d’un coup tout est acceptable ! Le climat change, l’enneigement devient un réel problème mais ça échappe complètement au CIO et à tous ceux qui veulent accueillir les JO, disons-le, pour l’image ». Selon une récente étude canadienne, sur 19 villes ayant accueilli les JO d’hiver, seulement 10 à 11 pourraient encore s’organiser en 2050. L’étude montre qu’en 1960 les Jeux d’hiver se déroulaient sous une température moyenne de 0,4 degrés pou 7,8 degrés depuis les années 2000.
« Je continue à le répéter, les Jeux Olympiques sont conciliables et compatibles avec la préservation de l’environnement » réitère Michel Cordon, maire de Chamrousse, station de Belledonne qui fut la principale station hôte des Jeux de 68. Pour celui qui était dans l’équipe municipale de 2008, aux côtés de Michel Destot pour porter la candidature, les problématiques environnementales ne mettent pas en cause l’accueil de futures olympiades dans la station : « L’essor des modes doux, les nouvelles techniques de fabrication de la neige artificielle et la construction d’infrastructures durables peuvent totalement se faire en lien avec les principes de développement durable et la préservation de l’environnement ». Pour David Smétanine, « mieux consommer les stations de ski est devenu primordial, car son développement fait rayonner tout un territoire comme Grenoble voire la région Auvergne Rhône-Alpes, et les JO ne se feront plus sans cette considération environnementale ». Tous deux restent convaincus, à travers le projet de restructuration Chamrousse 2030, que la montagne « peut se pratiquer toute l’année, il suffit de la réinventer ». Cette idée semble pourtant être aujourd’hui remise en cause, à l’heure où, dans son dernier rapport annuel, la Cour des Comptes épingle les stations de ski indiquant que « les objectifs environnementaux sont insuffisamment pris en compte dans l’exploitation des installations existantes comme dans les projets de développement« . En ligne de mire : les questions liées à la neige de culture, la gouvernance et la diversification des activités.
Repenser les jeux… autrement.
Plus largement, c’est la question de l’avenir des Jeux Olympiques d’hiver qui se trouve au cœur des débats. Le 15 février dernier, l’Auditorium du musée de Grenoble accueillait une table ronde d’économistes, urbanistes, chercheurs de Grenoble, Lausanne ou encore Poitiers autour de cette question « A-t-on encore envie et peut-on encore organiser des Jeux Olympiques d’hiver dans nos massifs ? ». Pour l’occasion, des étudiants du master francophone « Urbanisme et Coopération international » et du master anglophone « Cooperation in urban planning » de l’Institut d’urbanisme et de Géographie Alpine ont présenté leurs travaux commandé par le Labex Item (une plateforme innovation et territoires de montagne) : imaginer un dossier de candidature à de futurs JO d’hiver pour Grenoble. « L’idée était de dépasser les critères qu’impose le CIO pour prendre le compte le rapport aux territoires, aux évolutions climatiques et des sociétés » explique Michel Roux aux côté de Marlène Leroux, maîtres de conférence à l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine et encadrants du projet. L’un des dossiers intitulé « Le tourisme post-hiver » a par exemple imaginé la fin des jeux du tourisme mais ceux de la montagne : finis les sports tels que le bobsleigh ou combiné nordique avec le manque de neige progressif, inclure comme épreuves olympiques des disciplines plus adaptées à la montagne comme l’escalade, le canonying ou encore l’alpinisme. Ces réflexions sont partagées par le maire grenoblois, pour qui il est temps de « transformer les jeux olympiques » ; durant les célébrations lui aussi a ouvert une porte en proposant de choisir « par exemple six ou sept stations dans le monde qui pourraient se répartir les épreuves. On garde la dimension intercontinentale mais on repense l’utilisation des équipements, surtout si de moins en moins de villes ne candidatent à l’avenir… » Et Grenoble n’en fera pas partie sous cette mandature.
Clémentine Méténier
[1] André Suchet, « Les ruines des Jeux Olympiques de Grenoble 1968. Le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte et ses fantômes » , Techniques et cultures, 2016
[2] Extrait des délibérations du Conseil général de l’Isère du 16 octobre 2008.