Revue Faim et Développement (mars 2017)
Depuis vingt ans, les membres de l’association Sindo vont à la rencontre des femmes dans des villages reculés du pays. Objectif ? Les rendre actrices de la gestion de leur village, notamment grâce à la microfinance. Un travail de fourmi qui correspond à une certaine vision du développement.
Il est bientôt 11h à Wawata-Zounto. Les quatre membres de l’association Sindo sont en retard. Comme chaque mois, ils ont rendez-vous avec des femmes de trois villages qu’ils accompagnent. Cette fois-ci, ils les rencontrent dans cette petite localité située à 40 kilomètres au nord de Cotonou. C’est le jour du remboursement des crédits et de la collecte d’épargne. Les femmes ont l’habitude, elles sont assises en rond et ont placé une table et trois chaises au centre. Certaines sont parties aux aurores de chez elle pour arriver à l’heure. « Bonjour à toutes, on va procéder comme d’habitude, par village. Lorsqu’on vous appellera, venez avec votre carnet de couleur et on inscrira le montant du remboursement mensuel de votre crédit » leur explique Claire, une des animatrices de l’association.
La clé du développement de régions délaissées
Avec Clémentine, sa collègue, elles font cela depuis cinq ans : permettre un accès au crédit et à l’épargne à des femmes de villages reculés du Bénin. « La clé du développement des régions délaissées par l’Etat béninois » selon Emma Mongbo, présidente et fondatrice de Sindo. C’est elle, au milieu des années 90, après avoir observé dans différents villages du sud du pays la dépendance des femmes envers leur mari, qui décide de mettre en place la microfinance. « J’ai très vite compris qu’en conscientisant les femmes sur leur capacité à être indépendantes, à s’entraider et à prendre des décisions, elles pourraient soulever des montagnes » explique Emma. D’où le nom de l’association Sindo, qui signifie « qui émerge de la base ».
« Renforcer l’activité génératrice de revenus pour ces femmes »
« Quand nous avons rencontré les membres de Sindo la première, explique Francesca, nous ne comprenions pas bien pourquoi ces gens proposaient de nous aider. Et rapidement on a eu confiance. Moi j’ai commencé à déposer 200 francs périodiquement dans la boîte de Sindo, puis, à notre association de femmes, elle a octroyé un crédit 15 000 francs. J’ai pu m’acheter une chèvre, agrandir mon commerce et surtout subvenir aux frais que m’a coûtés la mort d’un parent. Aujourd’hui je crie dans la rue que Sindo m’a sauvée. Tout le monde veut nous rejoindre ! ». Le témoignage de Francesca fait écho à de nombreux autres. Concrètement, plusieurs crédits ont été mis en place par l’association. Le « crédit ordinaire », sur un cycle de six mois, dont « les remboursements hebdomadaires permettent aux femmes de se sentir responsables » explique Claire, « et surtout qu’on intervienne vite en cas de problèmes de remboursement ». Car il a fallu du temps pour faire comprendre le principe du crédit et l’importance du remboursement à ces femmes, dépourvues de toute prise sur leur avenir. Ensuite vient le crédit journalier, sur un cycle d’un mois ainsi que des crédits scolaires dédiés uniquement aux frais de scolarité.
Ces crédits ont un but précis que ne cesse de rappeler Emma : « renforcer l’activité génératrice de revenus pour ces femmes ». Autrement dit, générer de l’épargne. C’est ce à quoi est consacré le second temps de rencontre. Les villages d’Agondotan, de Kindji et de Wawata-Zounto sont représentés par une seule femme, qui détient dans un bout de tissu l’épargne des villageoises qui l’accompagnent. Cet argent, elles pourront le récupérer quand elles veulent. L’animateur Robert est chargé d’inscrire le montant de l’épargne devant le nom de chaque femme. Une aide incontournable face à l’illettrisme quasi global des femmes présentes. « Même si la plupart des femmes ne savent pas lire et écrire, elles ont compris à travers l’association l’importance d’investir dans l’éducation de leurs enfants » explique la chef de village Wawata-Zonto. « Ici, finis les mariages précoces, les travaux forcés ou le trafic des enfants : on sensibilise les parents sur le bienfondé de la scolarisation en passant de maison en maison (il y a 1000 habitants) à chaque début de rentrée scolaire. Car même si nous sommes situés à seulement 40 kilomètres de la capitale, certaines pratiques restent traditionnelles : des familles refusent de voir leur fille éduquée car elle sera moins serviable pour son futur mari. Heureusement Sindo nous aide. » Son vœu le plus cher ? Construire un centre d’éducation pour permettre aux enfants de grandir en paix et leur donner des conseils sur leurs étapes de vie.
Ouvrir les consciences
Vingt ans après sa création, Sindo fait les comptes : plus de 4000 crédits ont été octroyés à des femmes dans six départements du pays. Selon Emma, « Sindo ne serait jamais arrivée à de tels résultats sans l’aide de l’AIAF[1]dont l’objectif est l’appropriation du concept de « faire faire. » Ce programme, initié en 2012 et dont le CCFD-Terre Solidaire est partenaire, a permis de toucher 709 femmes dans 33 villages. La fondatrice de Sindo ne peut que se réjouir, sans s’aveugler non plus : « Tout est lié dans notre action. L’amélioration financière des femmes permet d’ouvrir les consciences, donc d’agir contre la non-scolarisation des enfants et de ce fait, contre la prostitution, le travail et le mariage forcés mais aussi le trafic d’enfants. Des phénomènes qui existent encore en masse. Et ce n’est pas nous, membres de Sindo, qui changerons cela : ce sont les Béninois réunis. Et cela passe aussi par les politiques qui sont à des années lumières de comprendre réellement ce qu’est le développement. »
Et les hommes dans tout ça ? L’un des deux animateurs de Sindo, Robert, apporte son analyse avec des pincettes : « Au début c’était dur pour les hommes, être mis de côté ou accepter que sa femme fasse des affaires. Et puis rapidement ils ont eu les retombées à la maison, elles participent à la progression financière du ménage. Elles sont respectées pour quelque chose. Et puis tous les hommes ne sont pas pour la soumission des femmes ! »
Les témoignages de femmes concordent. Petit à petit, elles semblent même vouloir laisser les hommes entrer dans leur démarche. « Seulement s’ils remboursent, et c’est pas gagné ! » s’amusent-elle à dire entre elle.
C’est d’ailleurs en échangeant avec le CCFD-Terre Solidaire que proposition est faite par Sindo d’impliquer les hommes dans les initiatives pour lancer des débats sur le genre et le respect des droits humains. En 2015, 44 jeunes étaient élus conseillés dans différents arrondissements.
[1] Actions Intégrées pour l’Autonomisation des Femmes et des filles pour le développement local
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